Environ un million de personnes ont afflué dans la grande capitale du Borno. Les camps mis en place par les autorités ne suffisant plus, de nombreux habitants de Maiduguri ont ouvert leurs portes aux déplacés de la guerre.
Mais trois ans plus tard, les réfugiés ne peuvent toujours pas rentrer chez eux et sont désormais accusés d'être responsables de tous les maux de la ville.
Comme 70% à 90% des déplacés de Maiduguri dont la survie repose en grande partie sur la solidarité des autochtones, Ali Bukar et sa famille n'ont jamais rejoint un camp officiel.
Pendant un an, l'hôte d'Ali Bukar, un commerçant, les a accueillis chez lui et les a nourris, raconte le vieil homme au visage traversé de cicatrices. Mais bientôt, il a fallu partir: la charge financière était devenue trop lourde.
Ils sont aujourd'hui hébergés dans une "hosting community", une "communauté hôte", comme la ville en compte des centaines. Ici, le gouvernement n'intervient pas. Le maître des lieux - privés - est Baba Kura Al-Kahi, un notable qui a fait fortune dans l'immobilier.
"Je ne pouvais pas rester assis à regarder les gens mourir de faim, il fallait bien les aider", raconte M. Al-Kahi, assis en tailleur sur une natte avec les anciens.
En 2013, il a chassé l'entreprise de construction et de mécanique qui lui louait un terrain pour quelque trois millions de naira par an (près de 15.000 euros à l'époque) afin d'accueillir des déplacés.
Environ 3.000 personnes s'entassent dans des conditions précaires sur le moindre mètre carré libre, avec l'aide de quelques ONG - Save the Children donne l'équivalent en nourriture de 17.000 nairas (51 euros) par mois à chaque famille - et du Haut-commissariat aux réfugiés de l'ONU (HCR), qui a fourni des tentes.
- Mendicité et prostitution -
Beaucoup squattent des sites en construction, des écoles, des logements de fonctionnaires, tandis que des milliers d'autres se débrouillent chez des parents ou des membres de leur communauté ethnique, souvent kanuri ou hausa.
Les voisins s'organisent, cultivent leurs champs pour nourrir les plus démunis, leur apportent des vêtements, des draps et des ustensiles de cuisine.
Mais "les ressources manquent cruellement", en particulier en terme d'eau et d'assainissement, d'infrastructures hospitalières et de sécurité alimentaire, confie à l'AFP le gouverneur du Borno, Kashim Shettima.
Assiégée à plusieurs reprises par le passé, Maiduguri semble pourtant retrouver une vie presque normale, comparée à l'arrière-pays dévasté.
Le couvre-feu a été repoussé à 22H00 (contre 18H00 auparavant), soldats et check-points se font plus discrets, alors que commerçants et passants se réapproprient les trottoirs bien entretenus du centre. Les écoles, fermées pendant deux ans, ont rouvert leurs portes le mois dernier.
Les apparences sont parfois trompeuses dans le berceau de Boko Haram, où un nouvel attentat suicide a frappé un marché très fréquenté le 11 décembre, faisant un mort et 18 blessés.
Le chômage atteint désormais des proportions effrayantes - 35% ou plus, estime le gouverneur - et dans les rues de Maiduguri, le nombre de mendiants en haillons qui cognent aux vitres des voitures aux feux rouges a explosé.
Les déplacés sont désormais montrés du doigt comme responsables des maux qui accablent la ville. La population a doublé depuis le début de l'insurrection en 2009, qui a fait plus de 20.000 morts et 2,6 millions de déplacés.
Pour le gouverneur, les camps de déplacés sont "sources de nombreux problèmes" avec des réseaux de prostitution et de trafic de drogues.
"Les habitants ont aidé tant qu'ils ont pu mais de plus en plus de critiques s'élèvent. Les gens ont peur de la criminalité et des épidémies que ça peut amener", explique un journaliste local qui veut rester anonyme.
"Ils est évident que Maiduguri ne peut offrir une vie décente à tous ces gens", estime Yannick Pouchalan, directeur de l'ONG Action contre la faim au Nigeria. Mais si vous aviez 15 ans, et que vous pouviez profiter de la sécurité, des services d'une grande ville et d'un accès à internet... vous ne repartiriez sûrement pas chez vous au village".
Avec AFP