Boko Haram : les camps nigérians sous pression face à l'afflux d'ex-réfugiés

Camp de réfugiés à Kousseri, au Cameroun.

La recrudescence des attaques de Boko Haram et l'afflux de Nigérians de retour du Cameroun augmentent la pression sur les camps de déplacés déjà surchargés dans le nord-est du Nigeria, estime l'ONU, qui met en garde contre les retours forcés de civils dans leur pays.

Obinna Orjingene est médecin pour l'Unicef dans la ville de Banki, près de la frontière avec le Cameroun, où la population est passée de 32.000 à 45.000 habitants en seulement quelques mois.

Il fait partie d'une petite équipe médicale qui traite tout, du paludisme aux blessures de guerre en passant par la malnutrition, dans le camp de déplacés surpeuplé.

"Un seul médecin pour plus de 40.000 personnes, c'est dingue", explique-t-il au téléphone à l'AFP depuis Banki. "C'est écrasant".

D'autant que, d'après lui, la situation est similaire, voire pire, dans toute la région du nord-est. "Je suis tout à fait conscient que certains camps n'ont pas de médecins. Il y a de nombreux défis."

Quelque 889 réfugiés nigérians sont arrivés à Banki du camp de Minawao, au Cameroun, le 17 juin, incitant le Haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés à tirer la sonnette d'alarme.

Filippo Grandi s'est dit "extrêmement préoccupé" par ces retours qu'il a qualifié d'"insoutenables".

Jeudi, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a en outre affirmé que ces derniers jours 887 Nigérians ont été "regroupés" dans six camions et renvoyés de force par le Cameroun "dans des conditions dangereusement non préparées pour les accueillir".

Comme d'autres camps, Banki reste vulnérable aux attaques de Boko Haram et a été ciblé à plusieurs reprises par des kamikazes.

Le camp se trouve à l'intérieur des murs de la ville détruite, et les gens, dans l'impossibilité de sortir en raison des insurgés actifs dans les environs, dépendent quasi entièrement de l'aide humanitaire pour survivre.

L'eau et les abris se font rares et les enfants ne vont pas à l'école. La nuit, les combattants de Boko Haram continuent à faire crépiter leurs armes et à terroriser les habitants retranchés.

- Retours forcés -

"Au cours du mois dernier, nous avons eu un retour précipité de réfugiés nigérians du Cameroun qui n'était pas nécessairement prévu", affirme le représentant du HCR au Nigeria, Jose Antonio Canhandula.

"Ils ont apparemment reçu des informations comme quoi la situation était bonne au Nigeria et qu'ils pouvaient rentrer".

"Nous avons immédiatement commencé une campagne pour les informer de la situation réelle. Ce n'est pas le moment de revenir, car lorsque vous rentrez, vous vous retrouvez dans un camp avec beaucoup moins de services".

Débordés, le Nigeria et le Cameroun - lui-même théâtre de nombreuses attaques de Boko Haram depuis trois ans - ont tendance à se renvoyer la responsabilité de la gestion des réfugiés, estime Yan St-Pierre, du Modern Security Consulting Group à Berlin.

En mars, plus de 2.600 Nigérians sur environ 85.000 personnes ayant trouvé refuge dans le nord du Cameroun pour échapper aux jihadistes, ont été forcés de rentrer dans leur pays, selon l'ONU.

Bien que les violences n'ont jamais cessé, le président Muhammadu Buhari et son administration ont régulièrement affirmé que Boko Haram était "techniquement vaincu".

Depuis le début de l'année, le groupe islamiste a attaqué des soldats, pris d'assaut des bases militaires, tué des dizaines de civils dans des attentats-suicides et, depuis début juin, ciblé à plusieurs reprises Maiduguri, la capitale de l'Etat du Borno.

Pour le Cameroun, "c'est une façon politique de les prendre au mot, en disant:+Eh bien, si vous avez sécurisé la région, reprenez votre population+", analyse M. St-Pierre.

En mars, le HCR, le Nigeria et le Cameroun ont signé un accord établissant une procédure de retour volontaire pour les réfugiés. Mais, selon certains observateurs, Yaoundé est surtout préoccupée par la situation sécuritaire, après une recrudescence d'attaques sur son sol.

La semaine dernière, six personnes ont ainsi été tuées dans un double attentat-suicide à Kolofata (extrême-nord), près de la frontière nigériane, déjà ciblée à de nombreuses reprises par le passé.

Les autorités camerounaises s'inquiètent notamment des infiltrations d'insurgés parmi les réfugiés nigérians et reprochent au Nigeria de ne pas sécuriser la frontière.

Pour le Dr Orjingene, la détérioration de la situation sécuritaire dans le nord du Cameroun a en tous cas incité davantage de Nigérians à partir.

"Visiblement, les Camerounais veulent que tous les réfugiés nigérians rentrent chez eux", dit-il. "Je fais de mon mieux pour sauver autant de vies que possible."

Avec AFP