"Non à un troisième mandat illégal", pouvait-on lire mi-septembre sur une des nombreuses banderoles déployées au coeur de Paris par quelques centaines de manifestants de la diaspora ivoirienne.
Depuis l'annonce de la candidature d'Alassane Ouattara, chef de l'Etat sortant, pour un troisième mandat, les opposants de tous bords dénoncent un viol de la Constitution.
"Ici on a la liberté de manifester, d'avoir accès à la presse. C'est notre devoir, nous qui avons pu voyager et connaître d'autres systèmes, de faire changer les choses", explique Louis Tchiekpe.
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Le président de "Non et non ça suffit", un collectif citoyen de la diaspora qui se réclame transpartisan, organise chaque week-end des manifestations à Paris qui rassemblent quelques centaines de mécontents.
Pour ce collectif qui espère changer durablement le système politique en Côte d'Ivoire, "l'actualité du moment", c'est le retrait de la candidature de M. Ouattara.
Un message qui rassemble l'opposition, d'Abidjan au Vieux Continent, où se trouvent deux figures politiques ivoiriennes: Laurent Gbagbo à Bruxelles et Guillaume Soro qui donne régulièrement des conférences de presse au très chic palace Bristol, à Paris.
Ancienne puissance coloniale, la France reste l'une des terres d'immigration favorite des Ivoiriens. Faute de chiffre officiel, on estime leur nombre à plusieurs dizaines de milliers, majoritairement installés en région parisienne.
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"Base militante" en France
Mais les anti-troisième mandat ne sont pas les seuls à donner de la voix hors d'Abidjan.
Manifestations "pour la paix", marche et meetings politiques à Paris: le parti d'Alassane Ouattara, très structuré, a multiplié les évènements ces derniers mois pour convaincre les électeurs de l'étranger.
"La diaspora est très influente et a un pouvoir réel. Un Ivoirien ici a vingt membres de sa famille qui répondent à ses appels, il est une manne financière, il peut capter 20 voix!", souligne Moïse Diallo, conseiller spécial en France pour le parti présidentiel.
"C'est très important pour la politique extérieure du pays de constituer une base militante en France", ajoute t-il à l'AFP.
Et au plus haut niveau de l'Etat, Paris est également un passage obligatoire.
Début septembre, Alassane Ouattara est venu s'entretenir avec Emmanuel Macron dans la capitale française.
Un déjeuner qui réveille les spéculations des camps opposés, certains évoquant d'éventuelles pressions françaises sur Ouattara, d'autres à l'inverse, dénonçant une complaisance de Paris vis à vis du président ivoirien.
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Position délicate
Lors de cette entrevue, les deux chefs d'Etat ont fait "un tour d'horizon de la situation économique et politique de la Côte d'Ivoire", indique Abidjan dans un communiqué.
Officiellement, pas de prise de position de la France sur le fameux troisième mandat d'Alassane Ouattara. Emmanuel Macron avait chaleureusement salué en mars la décision initiale du président sortant de ne pas se représenter, mais n'a jamais commenté son revirement.
"La France a demandé un report de l'élection lors de ce déjeuner. Il y a eu des informations de presse en ce sens qui n'ont jamais été démenties", pointe pour l'AFP le chercheur d'ICG (International Crisis Group) Rinaldo Depagne.
Comme toujours avec ses ex-colonies, Paris est dans une position délicate et chacun de ses mots ou de ses silences est scruté avec attention.
"On (La France), on ne fait rien, on nous soupçonne. On fait quelque chose, on nous critique. De toute façon, on sera toujours accusé", résume un élu français qui connaît bien la Côte d'Ivoire.
"L'idée de la France c'est de ne pas s'en mêler. Ce qui intéresse la France, c'est la lutte contre le terrorisme et Barkhane", confirme une source diplomatique.
"La France est occupée par d'autres pays de la région qui l'inquiètent beaucoup plus que la Côte d'Ivoire en particulier le Mali, avec la chute du président IBK. Elle a besoin de tout sauf d'une crise supplémentaire dans un pays clé de la sous région", abonde Rinaldo Depagne.
Sa position évoluera t-elle si la situation dégénère? Après les multiples appels de l'opposition à la désobéissance civile, la question de la tenue du scrutin le 31 octobre prochain reste encore incertaine.
"C'est aux Ivoiriens de prendre leur responsabilité. S'ils se lèvent là-bas contre le troisième mandat, la France ne prendra pas le risque de s'en mêler", estime Louis Tchiekpe.