Avec quelques dizaines d'autres familles, Peninah habite un campement illégal construit autour de trois vieux hangars au milieu de champs de maïs dans la commune de Njoro, à environ 25 km de la ville de Nakuru, dans le centre-ouest du Kenya.
Ces membres de l'ethnie kikuyu avaient été chassés des terres qu'ils occupaient dans le nord de la vallée du Rift par les violences politico-ethniques ayant suivi l'élection présidentielle de décembre 2007.
Peninah a perdu son époux dans ces affrontements qui avaient notamment opposé les Kikuyu à l'ethnie rivale des Kalenjin, et fait en deux mois plus de 1.100 morts et 600.000 déplacés au total.
Après les premières exactions en janvier 2008, elle avait dû fuir l'exploitation de sisal dans laquelle elle travaillait. C'est en tentant de se mettre à l'abri à Nakuru qu'elle a perdu son mari.
"Nous sommes tombés dans une embuscade, il y avait une large foule devant nous", se rappelle Peninah qui, pour tout abri, dispose de trois tentes surmontées d'un toit en tôle, dans un petit enclos démarqué par des bouts de bois.
"Mon mari a été attaqué par des flèches, il en reçu une dans le bras, une autre dans l'estomac et deux de plus dans le dos", enchaîne, en retenant à grand-peine ses pleurs, cette mère de dix enfants, dont les cinq encore scolarisés vivent avec elle pendant les vacances.
- Manque de transparence -
Peninah en a réchappé miraculeusement. Mais ses déboires ne se sont pas arrêtés là. Elle a certes partiellement bénéficié du programme de dédommagement et de réinstallation mis en place dès 2008 par le gouvernement de l'époque.
Elle a reçu 35.000 shillings (280 euros), avant de trouver refuge dans le camp de Pipeline, aux environs de Nakuru. Elle a consacré cette somme essentiellement à payer l'éducation de ses enfants.
Le gouvernement a ensuite racheté un terrain de 450 hectares à Njoro, prévu pour abriter quelque 2.000 personnes. Mais la répartition des parcelles est bloquée depuis des années par un litige judiciaire portant sur la propriété du terrain.
Peninah squatte depuis 2013 à Njoro pour tenter d'accélérer le processus. Souffrant maintenant d'une pneumonie, elle se désespère de voir un jour le bout du tunnel. "Ça a été une expérience de souffrance", raconte-t-elle à l'AFP.
Dès le départ, le processus gouvernemental de dédommagement a été critiqué pour son manque de transparence. Et des dizaines de milliers de victimes qui avaient trouvé refuge dans leur famille et non dans des camps, attendent toujours une quelconque indemnisation.
En mars 2015, le président Uhuru Kenyatta avait promis de débloquer 10 milliards de shillings (81 millions d'euros) pour les personnes déplacées par les différents épisodes de violences (dont ceux précédant 2007). Mais le gouvernement n'a jamais expliqué comment il allait créer ce fond.
- 'C'est devenu l'enfer' -
A l'approche des élections générales du 8 août, les pouvoirs publics ont accordé des dédommagements aux déplacés de telle ou telle région, une pratique opaque qui a encore accentué la rancoeur de ceux qui n'en ont pas bénéficié.
Penser à ces élections donne froid dans le dos à Peninah, même si elle ne se sent pas directement menacée là où elle habite désormais. "Il ne peut y avoir que de la peur quand vous entendez les déclarations des hommes politiques à la radio", confie-t-elle.
Elle sait trop bien combien les choses peuvent basculer rapidement. "Nous n'avions jamais connu une telle violence avant. On voyait ça seulement à la télévision", observe-t-elle en repensant aux événements d'il y a dix ans.
"J'ai vu quelqu'un être découpé à la machette, mon mari être attaqué, j'ai vu une flèche atterrir dans la tête d'une femme et elle en est morte. Moi-même, j'ai eu le crâne ouvert par une pierre", dit-elle.
"Vous n'auriez jamais imaginé qu'ils (les Kalenjin) nous feraient quoi que ce soit. Nous avions l'habitude de manger ensemble, travailler ensemble, mais en deux jours c'est devenu l'enfer et tout est parti en fumée, y compris la nourriture et les maisons", ajoute-t-elle.
Peninah surmontera sa défiance envers la politique pour aller voter. Et peu importe qui l'emporte du président Kenyatta ou de son principal opposant Raila Odinga. L'essentiel pour elle est que la paix soit au rendez-vous. "Les Kényans devraient juste s'accorder sur une personne pour nous diriger".
Avec AFP